Site d’Antoine Ducommun

L’école de Tanghin

dimanche 28 novembre 2010, par Aduco

Cette semaine avec Lilou, nous avons pratiqué nos métiers respectifs. Elle s’est rendue à Shiphra, le centre de santé où elle a déjà eu l’occasion de faire une veille à la maternité. De mon côté, j’ai assisté aux leçons et donné quelques cours en CM2 (6e année en Suisse). La classe est tenue par le directeur de l’école primaire. Nous nous réjouissions de vivre nos métiers dans des conditions différentes.

Les leçons commencent à 7h30, les nonante-quatre enfants sont déjà tous en classe lorsque j’arrive. Je remarque que plusieurs tranches d’âge sont représentées. L’école étant « obligatoire », mais payante, les parents ne peuvent (ou ne veulent) pas forcément envoyer leurs enfants lorsqu’ils ont le bon âge pour suivre le CP1. Dans la classe de CM2, les âges vont de 10 à 17 ans.

La classe est exiguë une fois, tous les élèves installés et serrés sur leurs bancs. Les tables sont dépareillées, recouvertes de trous. Les bancs sont étroits, quelques chaises et tabourets remplacent les planches manquantes. Le mur du devant est lisse, recouvert de peinture noire et sert de tableau.

La première leçon à laquelle j’assiste, c’est les corrections des devoirs du week-end. Les élèves viennent à tour de rôle effectuer les opérations au tableau. Une fois que tous les calculs sont effectués, il est enfin temps pour les élèves de prendre le cahier de leur voisin et d’y apporter les corrections nécessaires. Pour corriger une petite dizaine d’opérations, il aura fallu plus de 60 minutes ! C’est qu’ici tout prend du temps, rien que de faire distribuer les cahiers fait perdre facilement une dizaine de minutes !

Ici, tout se fait ou s’apprend par coeur. Les élèves ne savent pas répondre spontanément aux questions qu’on leur pose, ils récitent toujours une phrase apprise sur le bout des doigts ! C’est assez surprenant ! Quand on corrige un devoir de géographie, tous les élèves ont la même formulation de réponse, en Suisse, on penserait qu’ils ont tous triché !

C’est seulement à 10h que les enseignants sont mis au courant qu’en raison de la Tabaski (fête musulmane où l’on tue un mouton en souvenir du sacrifice fait par Abraham sur la montagne) les cours se termineront à midi. Mardi c’est congé. Dans le reste du pays, les fonctionnaires font une journée « longue », c’est-à-dire qu’ils finissent le travail à 14h, alors que d’habitude ils font une pause entre midi et 15h pour terminer leur journée à 17h.

Cet après-midi, on voit des moutons partout... Sur les vélos, dans les coffres et sur les toits de voitures, des taxis, au bord des routes... Chaque chef de famille doit avoir son mouton. Les gens qui n’ont pas beaucoup de ressources se saignent pour répondre à cette tradition religieuse, un mouton coûte facilement 8’000 CFA (20.- CHF, mais une fortune pour un Burkinabé). Les priorités sont différentes qu’en Suisse, ici tout passe par le paraître, l’apparence ! Il en va de même avec l’habillement, alors qu’une assiette de riz-sauce coûte 100 FCFA (25 cts), les femmes mettent souvent plus de 25’000 FCFA (plus de 60 CHF) dans un habit richement brodé.

Mardi, journée du Mouton, vers 14h, nous nous rendons en ville. Tout est calme, le centre semble déserté, plus de mendiant, seulement des personnes bien habillées. C’est rigolo de voir des enfants tout bien vêtus, accompagnés par un camarade habillé normalement, certainement un non-musulman ! Toutes les échoppes et presque tous les magasins sont fermés, nous arriverons quand même à faire une réserve de victuailles. Pour nous remonter le moral, nous achetons : fromage (le Parmesan ressemblerait presque à du Gruyère !), crème et farine afin de faire de bonnes sauces (différentes des sauces au poisson et huile que l’on trouve partout !). Pour couronner le tout, je prends même le luxe d’acheter une bouteille de Merlot. Les prix des produits importés sont chers par rapport au coût de la vie dans ce pays, mais au final, équivalents aux prix pratiqués en Suisse.

Nous comptions nous connecter à internet à la bibliothèque du Centre Culturel Français, mais comme tout le reste en ville, le gardien nous dit qu’il est fermé en raison de la Tabaski !

Au retour, nous nous arrêtons à l’Hôtel Ricardo, et demandons de pouvoir nous connecter à leur réseau WiFi. Ici au moins la connexion semble rapide. Nous profitons donc, de mettre à jour notre site et de répondre aux e-mails reçus cette dernière semaine.
De retour chez nous, nous faisons un bon petit repas à la Suisse. Pain, fromage, vin rouge, que du bonheur, que la vie peut être belle avec de si simples choses !

Mercredi matin, je retourne en CM2, cette fois c’est moi qui donnerai une partie des cours. Au menu « Preuve par 9 » en mathématiques et « Voies de communication » en géographie. En commençant par donner ma leçon de maths, je remarque rapidement que les élèves connaissent déjà la technique. En demandant au maître comment cela se fait, il me dit que le programme du CM2 est principalement une reprise et une consolidation des matières vues au CM1.
Pour ma leçon de géographie de l’après-midi, j’ai décidé de ne pas suivre les chemins traditionnels. J’arrive donc en classe avec ma carte du pays sous le bras. Après avoir demandé aux élèves de lister les différents moyens de transport utilisés au Burkina et les avoir dessinés au tableau (ça va du taxi-brousse à la charrette à âne en passant par le vélo), j’ajoute des billets sur la carte avec le nom des grandes villes du pays. Pour une fois, ils n’auront pas des phrases à apprendre par cœur, mais des dessins et des schémas à interpréter.

Jeudi, les élèves n’ont pas cours, c’est « Compassion » qui utilise les locaux. Compassion est une association qui vient en aide aux enfants des familles défavorisées, orphelins ou pauvres du quartier et les accueille un jour par semaine afin de leur enseigner quelques notions de base. La journée commence par un moment d’enseignement biblique, s’ensuit un moment de culture général et de civisme et pour terminer, les enfants sont répartis en atelier afin d’apprendre quelques notions manuelles pour un futur métier.

Chaque semaine, des bénévoles viennent apprendre aux filles à tresser les cheveux et à tricoter, alors que les garçons peuvent suivre des cours de mécanique ou de piano. Les intervenants sont bénévoles.

J’assiste à une partie des cours et donne, après demande de l’intervenante, une explication approximative à des tout petits sur ce qu’est un tremblement de terre (alors qu’ils n’ont certainement jamais vu la moindre montagne). J’apprends également à tresser un bracelet avec des morceaux de ficelle à des plus grands.

Comme j’ai déjà préparé pour ma leçon en CM1 du lendemain un téléphone réalisé avec deux boîtes de conserve et un morceau de ficelle, je l’apporte dans la cour. Les enfants se précipitent pour l’essayer. Même quand trop de mains touchent la ficelle et coupent la communication, le son passe : ils crient tellement fort ! Plusieurs veulent que je leur donne mon téléphone, je leur propose plutôt d’essayer de s’en construire un… - mais avec quoi ? me répondent-ils ! Enfin, l’un des enfant se rue sur les boîtes de sardines vides posées à proximité… en quelques minutes elles auront toutes trouvé preneur. Reste à trouver des morceaux de ficelle…
Quelques jours plus tard, ça sera ma petite victoire personnelle, me faire arrêter dans la rue par un enfant voulant que je teste son « téléphone » qu’il traîne derrière son vélo !

A 14h, le repas est offert à tous, chaque jeudi au moins ces enfants peuvent se remplir le ventre. Le repas comprend un petit morceau de viande, c’est la seule fois dans la semaine où ils ont la possibilité d’en avoir, alors c’est un repas de luxe.

Jeudi soir, nous nous rendons chez Urs et son épouse, deux Suisses missionnaires au Burkina depuis 23 ans. Nous avons pris contact avec eux, car Urs s’occupe de poser par écrit certaines connaissances et également de les traduire dans la langue locale du sud du pays, le Kasem. Nous sommes invités à partager un délicieux Bircher Muesli aux fruits tropicaux ! Que ça fait du bien de goûter de la cuisine suisse ! Nous rigolons sur le fait que les Africains auraient certainement ajouté quelques cuillerées d’huile et fait mijoter une tête de poisson pour donner un peu de goût !!! Nous discutons avec nos hôtes de la culture africaine, de leur cuisine, de leurs traditions… Urs nous dit qu’un jour un Burkinabé lui avait dit que s’il ne voulait pas partager quelque chose avec un Africain, le meilleur moyen c’était de le mettre dans un livre ! Dure réalité du pays ! Ou encore qu’on lui avait dit à l’arrivée du téléphone sans fil que les blancs étaient malins, qu’ils avaient trouvé le moyen de téléphoner sans payer, car maintenant, on pouvait se cacher dans les cases pour téléphoner sans être vu. En effet, ici les cabines téléphoniques existent encore à certains coins de rue et la communication est facturée par quelqu’un qui compte le temps que vous avez passé au bout du fil. Nous échangeons également sur les changements de mentalité nécessaires au développement du pays, autant en ce qui concerne l’agriculture, que dans la société en générale ! Un des problèmes de la société burkinabée vient de leur vision à court terme et du fait qu’ils ne veulent faire des changements dans leur façon de procéder que s’ils pensent réaliser un profit à court terme. Pour preuve, une émission de RFI disait que de plus en plus de personnes en Afrique de l’Ouest préfèrent s’acheter chaque jour un repas au bord de la route à 100 CFA, plutôt que d’« investir » dans l’achat d’une casserole et des aliments afin de cuisiner soi même à moindre coût.
Vers 22h nous prenons congé, et quelle n’est pas notre surprise de nous retrouver nez à nez avec un singe ! Mais non, ce n’est pas une hallucination, il s’agit de Balthazar, le singe de la famille ! Rien de plus naturel, en Suisse on a un chat ou un chien de compagnie, au burkina c’est un singe ! Nous trouvons ça génial !

Vendredi je vais en CM1, le directeur souhaitait que je me rende dans cette classe pour donner quelques leçons… Aire du carré et schéma de l’oreille sont au programme ! Je donne mes leçons en essayant d’être créatif et d’apporter quelques nouvelles idées aux enseignants. Par exemple la fabrication d’un téléphone à l’aide de deux boîtes de conserve. Je suis un peu étonné, l’enseignante et la stagiaire (qui est passivement là depuis le début de l’année) attendent que le temps passe. Il ne leur vient pas l’idée de passer dans les rangées afin d’aider les élèves en difficulté, de répondre à leurs questions. J’ai d’ailleurs remarqué que les enseignants demandent souvent si les élèves ont compris, à quoi tous répondent « OUI, on a bien compris ! », mais que jamais du temps n’est pris pour que les élèves puissent poser de vraies questions et puissent demander des explications sur ce qu’ils n’ont pas compris. Je propose donc au maître de CM2 de donner en petit groupe des leçons de soutien sur la division.

Week-end tranquille à nous reposer… Samedi après-midi, nous allons « aux scouts ». Il s’agit d’un tout nouveau groupe qui s’est créer il y a 4 semaines. Les enfants sont content de nous voir participer à leur séance. Quand leurs responsables leur proposent de nous poser des questions, ils nous questionnent sur la « matière » qu’ils ont appris la dernière fois en séance… l’âge de BP, les buts du scoutisme… toutes des choses qu’ils ont dû écrire dans leur cahier, mais pas sur les différences qu’il peut y avoir dans notre pratique du scoutisme entre nos deux pays.

La séance commence par recopier un petit historique sur le code Morse et le code en entier… La copie des « points » et des « traits » prenant du temps, la mise en pratique et l’explication de son utilisation sont reportées à la semaine prochaine. La fin de la séance se passera à effectuer quelques petits « jeux » et de multiples rassemblements en ligne, en colonne et en demi-cercle… Les enfants semblent beaucoup apprécier cette parenthèse d’amusements et de camaraderie dans leur vie de tous les jours. Nous promettons de revenir et éventuellement de participer à leur camp de trois jour qui aura lieu fin décembre…

Lundi après-midi je me rends donc en classe et pendant qu’ils corrigent des devoirs, je sors avec des petits groupes de 5 élèves qui ont de la peine à réaliser les divisions.
C’est que la technique enseignée fait la part belle aux retenues et soustractions réalisée de tête. Je leur apprends donc la méthode où tout s’écrit… premiers changements pour eux, premières illuminations pour certains. Je remarque que malgré le fait que des divisions du style 8654 divisé par 87 sont monnaie courante en devoirs, certains n’ont aucune idée de ce à quoi sert la division. Je reprends donc les bases et essaye tant bien que mal de les aider. Je suis étonné, comme en Suisse, les élèves ne savent que trop peu leurs tables de multiplication et s’aident souvent de leurs doigts pour réaliser de simples soustractions, comme, par exemple, 12-8… Je remarque que presque tous les élèves savent apprendre par coeur, mais que la réflexion n’est pas donnée à tous.

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